Récit d’une traversée (1/2)

5 mars 2014

22 au 24 février: En mer vers San Salvador

La course pour la préparation du bateau a été intense. J’ai pris seulement 36h entre le moment de l’arrivée de mon vol et celui où je suis parti avec le bateau. J’ai eu à passer chez mon concessionnaire pour ramasser quelques pièces d’équipement que j’avais reçues, faire quelques arrêts dans des magasins d’accastillage pour récupérer des commandes et finalement, faire l’épicerie pour être en autonomie complète pendant deux à trois semaines. Le lendemain de mon arrivée, j’ai réalisé que l’anémomètre que j’avais reçue était incompatible avec mes équipements, alors j’ai dû en urgence tout arrêter des autres travaux pour trouver une solution de rechange. Sur un voilier, l’indicateur de vent est essentiel, surtout lorsque couplé avec l’auto-pilote. J’ai perdu une demi-journée pour en trouver un de remplacement, à mon grand soulagement. Le bateau n’était pas tout à fait prêt lorsque je suis parti, mais je n’avais pas le choix. J’avais une fenêtre météo avec des vents pour me porter assez loin vers San Salvador à compter de samedi soir et je ne voulais pas m’éterniser en Floride. Je préfère de loin passer du temps à attendre une fenêtre météo aux Bahamas au lieu de rester cloîtré dans une marina. Quel soulagement que j’ai vécu de quitter l’intracoastal et le port d’Everglades. Quand la dernière bouée du chenal était derrière mois, je me suis exclamé « Liberté!!!! ». J’ai déployé toute la voilure à ma disposition et Jayana retrouvait ses ailes pour avancer à vive allure. Le samedi soir, c’est aussi le soir où bien des bateaux de croisière reviennent à Fort Lauderdale pour échanger leur cargaison de voyageurs. A un moment donné, j’étais cerné de toute part par ces géants des mers. Heureusement, grâce à un système électronique dénommé AIS, ma position leur était communiquée et je pouvais facilement déterminer par où passerait le cargo. Pas évident la nuit lorsque les distances sont impossibles à déchiffrer. Sur les 60 heures de navigation pour me rendre à San Salvador, j’ai fait environ 12 heures de moteur. La plus grande majorité des autres ont été faite au près avec le Code 0, une voile très puissante pour avancer rapidement dans les vents légers. Je ne m’étais pas vraiment préparé à l’épreuve d’endurance que serait une telle aventure. Le manque de sommeil, ou plutôt la nuit entrecoupée par période d’une heure, m’a réellement fatigué. Je ne partais pas dans le meilleur contexte car j’avais beaucoup de travail à compléter pour la domotique de la maison. Quand San Salvador est apparu aux premières lueurs du 3e jours, j’étais très heureux de regagner un port, même si c’était mes premières manoeuvres à quai en solitaire. J’ai eu une heure avec l’ouverture de la marina, j’en ai alors profité pour préparer le bateau, gonfler de nouvelles défenses et imaginer ma technique d’approche. Les conditions étaient optimales avec un vent très léger me déportant à l’extérieur du quai. Comme il y avait quelqu’un à terre pour me porter assistance, j’ai intégré la marina sans encombres et j’étais très fier de moi. C’est pas du tout la même chose les manoeuvres en solitaire sur un 35’ (mon ancien bateau) que sur un 50’. Il y a beaucoup moins de marge de manoeuvre pour les erreurs! Le bilan de ma première traversée? Un stress pour la zone des cargos (Gulf Stream) mais avec l’AIS, c’était comme un jeu vidéo. Le vent qui a été au près tout le long au point que je pouvais marcher sur les murs, mais au moins le bateau avançait à 7-8 noeuds. Pas trop de casse (à part le code 0 emmêlé), mais j’ai dû apporter pleins de rectifications en cours de route. (ajout de prises de riz, solidifier le dinghy en position haute, etc.). 25 et 26 février: San Salvador Je suis arrivé tôt et passablement épuisé. J’ai consacré mes premières heures aux formalités d’entrée et dès que j’ai pu, je me suis couché pour reprendre des forces. Pour le souper, je n’avais pas beaucoup d’intérêt à entreprendre la cuisine, alors j’ai décidé de me prévaloir d’un souper au Club Med pour la modique somme de 50$. J’ai alors eu droit à un excellent buffet-repas et un spectacle de danse sous le thème de Cléôpatre. Au souper, j’ai discuté avec une nouvelle barmaid qui est arrivée à ce Club Med depuis seulement depuis 2 mois. Auparavant, elle travaillait à celui de Puerto Plata. Une fille de Valleyfield qui aime tellement son employeur qu’elle se l’est fait tatoué sur un bras. Son rêve est de travailler au Club Med de Floride pour avoir la possibilité de sortir à South Beach. A la même table, il y avait une famille de français qui repartait le lendemain. (Heureusement, car j’avais le goût d’une conversation un peu plus substantielle!) Le lendemain, j’avais réservé une excursion en plongée bouteille, alors le lever fut tôt pour honorer le départ à 7am. Je faisais figure d’extra-terrestre en arrivant en dinghy, mais au moins j’ai eu la chance d’avoir un dive-master pour moi seul. Alors que les autres étaient en groupe de 4-6, notre groupe n’était que de deux. Daphnée était bien heureuse car elle avait eu des clients difficiles et imprudents pendant toute la semaine. Bien que cela faisait quelques temps que je n’avais pas plongé, j’ai retrouvé les réflexes assez rapidement. La première plongée a été la plus belle et le clou a été d’avoir un gros mérou nous suivre comme un petit chat. Daphnée lui a même asséné un coup de palme et il a continuer à rester avec nous. Dommage qu’ils ne sont pas aussi docile en apnée lors de la chasse sous-marine! On a manqué un requin tigre qui a été vu par le groupe derrière nous. Mais on a vu d’autres requins, un énorme crabe et de belles formation coralliennes. Au retour, j’ai invité Daphnée au bateau pour qu’on puisse échanger nos photos et vidéo. En après-midi, j’en ai profité pour rafistoler le bateau. J’ai défait le noeud dans le code 0, ce qui m’a pris plus d’une heure. Puis, j’ai été cherché Daphnée qui est resté une heure et on a eu bien du plaisir à discuter des aléas de la vie au Club Med et elle était inspirée par notre projet en famille de voyage en voilier. Elle avait pris plein de belles photos sous-marine, j’avais plusieurs vidéos avec la GoPro alors on s’est échangé le tout. J’ai décidé de profiter d’un autre repas au Club Med et j’ai été accompagné à ma table par des gens du dive club. Retour au bateau vers 21h. J’ai immédiatement amorcé les préparatifs pour le départ (rangement, préparation du pont pour la nuit, etc.). J’ai quitté la marina vers 22h pour aller faire quelques manoeuvres pour enrouler correctement le code 0 qui n’avais qu’une seule écoute. A 23h, je pouvais mettre cap vers Samana, au près avec le génois et pleine grande voile. *** 27 et 28 février: Samana Le voyage jusqu’à Samana a été sans histoire. Je suis parti avec toute la voilure déployé, mais j’avais les dents serrés tellement tout était limite. Mon niveau de stress a diminué lorsque j’ai retiré le code 0 pour le remplacer par le génois. J’ai perdu de la vitesse mais tellement plus paisible. Je ne suis tout de même pas en course! Je voulais arriver à Samana à midi pour entrer dans le champ de mine de patates de corail avec la meilleure visibilité. À mon arrivée, André est venu me rejoindre et on a arpenté la passe à plusieurs reprises en dinghy avant que je m’y aventure avec Jayana. Tout s’est bien passé et j’ai passé l’après-midi à dormir pour récupérer de ma nuit de navigation. En soirée, André m’a reçu sur Panorama avec un festin bien arrosé. A 21h30, j’étais tellement fatigué que j’ai tiré ma révérence pour aller profiter d’une première nuit à l’ancre depuis mon départ. *** Ce matin, on a été faire un peu de trekking et à part les quelques habitations des pêcheurs, l’ile est vierge. On a trouvé un sentier qui se rend probablement de l’autre côté, mais on a rebroussé chemin à mi-parcours car l’ile est immense à parcourir à pied. Par la suite, on a fait un peu de snorkel à côté de Propeller Cay, mais les coraux sont plutôt morts et couvert d’algues. C’était autrefois probablement magnifique, mais c’est le même sort qui afflige la plupart des formations coralliennes au Bahamas. En après-midi, je suis retourné faire de l’exploration sous-marine dans la grande baie, mais la faible profondeur d’eau et le réchauffement climatique ont eu raison là aussi de la plupart des coraux. Au large, c’est un peu mieux, mais ce n’est vraiment pas le bon coin pour y pêcher. Et comme on repart demain, nous n’auront pas le temps de suivre les pêcheurs pour découvrir les meilleurs endroits de chasse sous-marine. En soirée, André est venu sur Jayana pour un copieux repas: potage de courge musquée, Bar du Chili au sésame grillé avec ses raviolis à la crème. Un régal! *** 1er mars: Vers les Planas Ce matin, on a fait une dernière incursion sous-marina à Samana. On en a profité pour explorer la passe et on a découvert de belles formations coraliennes. J’ai vu un énorme mérou que j’aurais bien aimé pêcher mais je l’ai manqué à la première tentative. A la seconde, la flèche n’avais pas la vitesse nécessaire pour le transpercer. Elle l’a seulement touché et il a pris la poudre d’escampette. Au retour, j’ai fait quelques réparations, comme refiler de quelques drisses sous le pont du bateau car elles étaient emmêlés et il y avait une friction néfaste pour les cabestans. Le tout bien réparé, on s’est préparer à remonter l’ancre pour repartir en haute mer. Samana ne voulait pas me voir partir et j’étais incapable de sortir l’ancre de l’eau. La chaine s’était complètement enroulée autour d’une petite patate de corail et j’ai dû plonger à deux reprises pour comprendre et aider à dégager le tout. Après une demi-heure de tergiversations, Jayana était enfin libre pour repartir voguer. Le trajet vers les Plana fut assez rapide avec un vent arrière mais nous sommes arrivés aux dernières lueurs de la journée dans un mouillage avec une grosse houle. André a proposer d’aller de l’autre côté de l’île, mais c’était un champ de corail. J’ai donc opté me mettre le long d’une belle plage de sable, mais avec les 3’ de houle du large, j’étais comme un bouchon avec un mat qui fouettait les étoiles à toutes les 5 secondes. Disons que j’ai pas beaucoup dormi! *** 2 mars: En route vers Acklins Aux planas, on était sensé attendre l’heure du midi pour plonger par 30’ de profonds et s’offrir une plongée en dérive avec le courant, attaché après de la tubulure reliée au compresseur d’air installé dans le dinghy. Vu notre état physique et mental après une nuit à être brassé comme dans une machine à laver, on a décidé de repartir aussitôt des Planas pour aller à Acklins. On est parti avec les premières lueurs du matin et ont est arrivé à destination vers 15h. En route, j’ai pris un raccourci sur André qui m’a donné quelques sueurs froides. J’ai aussi eu quelques bris sur le bateau en tentant des manoeuvres que Charles Mony m’avait montré sur un catamaran. (Bye bye lazy jack babord). J’imagine que cela ne se transpose pas sur un monocoque. (relacher un ris par vent arrière). J’ai aussi explosé un support de latte au mat lors d’un empannage. Je devrais être beaucoup plus gentil avec le bateau car je vais devoir trainer un gros coffre de pièce de rechange la prochaine fois! Le mouillage à Acklins était parfait. Eaux calmes, 12’ de profond, près de la plage et parfaitement sauvage.

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