Le bonheur apres la merde.
Enfin, les choses viennent de se placer pour m’offrir un peu de temps pour vous donner des nouvelles. En aviation, on répète souvent aux pilotes comment prioriser les tâches dans le cockpit: aviate, navigate, communicate. En premier, on s’assure de voler, ensuite, on s’arrange pour s’en aller dans la bonne direction et finalement, quand les paramètres de vol sont corrects, viennent les communications. C’est un peu ce qui s’est passé pour nous dans les derniers jours. Voici un retour en arrière.
Jour 3
C’est une belle journée de voile qui s’amorce. Bien que nous soyons au près, le vent est raisonnable et nous pouvons entamer quelques travaux. Le premier est celui de rallonger un cordage que j’ai acheté à St-Martin et qui s’avère une dizaine de pieds trop court pour l’enrouleur. (J’avais pourtant demandé 75’…) Il y a deux solutions pour remédier au problème: un rabouttage avec “tape électrique” ou lier proprement les deux cordages au moyen d’une épissure. Serge, qui a suivi un cours préconise la seconde approche et je m’installe pour apprendre. Lorsqu’on ouvre les cordages, on découvre qu’il y a 8 torons. Habituellement, on apprend à faire des épissures avec 3 torons, le niveau de complexité est beaucoup plus grand avec huit. On se lance quand même dans le travail. J’essaie de trouver mes outils pour épisser mais je ne parviens pas à les retrouver après avoir cherché dans tout le bateau. Qu’importe, on la fera à la main. Après plusieurs heures où nous avons pu apprécier toute la patience et le soucis de qualité de Serge, nous avons maintenant un cordage d’une longueur parfaite.
Le vent quant à lui continue d’augmenter. Il souffle maintenant à 25 noeuds et la nuit tombe. Lors du quart de Serge, un gigantesque grain de 16 miles de diamètre arrive sur notre position. Il est menaçant avec des éclairs… Notre pire scénario pour ce voyage est se faire bousiller toute l’électronique à bord (incluant le pilote automatique) par un éclair. Par chance, il y a un espèce de ‘tunnel’ qui nous permet de nous faufiler au milieu sans être dans la zone dangereuse. Serge nous faufile donc à l’intérieur et mon objectif est de nous en sortir lorsque je le relève de son quart. Pendant 4 heures, je m’empêtre. Que j’aille vite ou lentement, ce grain de la malédiction reste au dessus du bateau en nous aspergeant copieusement et en nous soufflant du vent de 30-35 noeuds (dans le nez, bien sur!). En voulant m’enfuir le plus rapidement possible (8 noeuds), je casse une écoute du génois. (Raguage sur les haubans)… Serge et Carl me relèvent et on décide de prendre la cape (manoeuvre pour arrêter le bateau avec les voiles levées) et attendre que le grain passe, je m’effondre dans le lit pendant que mes équipiers prennent la relève. Après environ 1.5h à la cape dans la direction opposée d’ou on veut aller, le vent diminue de façon importante, sur le radar le grain finalement s’éloigne il est maintenant à 4 miles. Lorsque nous sommes près à repartir le grain a mystérieusement disparu. On repart donc dans la bonne direction. Le vent est d’environ 15 noeuds. Une heure plus tard le vent re monte à 25 noeuds et le grain semble se rebâtir en 2 sections de 2 miles chacun. Celui de gauche n’est pas sur notre route mais celui de droite semble en route de collision avec nous. On s’engage donc en une course pour semer le grain. Un troisième arrive en renfort et grossi le deuxième. Lorsqu’il est à 2 miles nous changeons un peu notre cap et 30 minutes plus tard la portion la plus près de nous disparait du radar. Il semble que nous avons gagné, nous avons réussi en s’en sortir et réparons l’écoute brisée pendant la nuit.
Jour 4
Le vent baisse et notre sport du jour est l’esquive de grains (orages). Ca se passe bien et rapidement, on se trouve dans une zone où il n’y a pratiquement pas de vent (5 noeuds) dans des vagues de 2-3m. On se fait brasser le coco comme si nous étions dans une machine à laver. Notre seule façon de progresser est d’utiliser notre moteur. On le fera tourner pratiquement 13 heures, ce qui augmente notre consommation totale depuis le départ à 132 litres (sur 800).
En début d’après-midi, on remarque que le cordage qui nous permet de prendre le 1er ris est cassé, et que tout le mécanisme de renvoi est perdu dans la bôme. C’est une réparation que nous n’allons pas effectuer, alors nous utiliserons le cordage du 3e ris au besoin. En fin de journée, pour nous préparer au vent favorable annoncé, nous abaissons le code 0 sur le pont pour installer le Monstre.Il s’agit d’une voile immense (200m2) qui nous permet d’avancer dans le même sens que le vent. Ce qui suivra fut une belle démonstration que la vie est rythmé par le Ying et la Yang.
Le changement de voile impose de passer du temps l’avant du bateau. Alors que j’étais sur le balcon avant, quatre éclairs gris passent dans l’eau. Des dauphins! On a été accompagné quelques minutes par de beaux petits dauphins. Je me dis que c’est sûrement de bon augure pour la suite, mais ce n’était en fait que le seul bon moment de la journée.
Pour monter le Monstre, on utilise la même drisse (cordage) que le code 0. Cependant, on se rend à l’évidence: il y a tellement de twists dans la corde que ce ne sera pas possible. Une solution me vient à l’esprit: et si je montais dans le mât pour retirer les tours en tête, je permettrais à la drisse de monter. Cependant, j’ai peut-être sous-estimé la force nécessaire pour se tenir 75′ dans les airs dans des vagues de 10’… Quand le bateau roulait, j’étais comme une poupée de chiffons qu’on ballottait au bout d’un bâton. Je m’accrochais au mât de toutes mes forces et seulement une fois, en descente, j’ai été éjecté. Heureusement, j’ai amorti mon impact sur le mât avec mes jambes, mais j’étais au bout de mes forces. Il me fallait descendre au plus vite…
En haut, j’avais néanmoins réussi à arranger le cordage et à permettre au Monstre d’être à poste. Mais dans le manque de vent couplé avec les vagues, la voile venait s’empêtrer autour de la trinquette et du radar. J’ai malheureusement déchiré un petit bout sur le radar… J’ai pris la décision de tout redescendre la voile sur le pont. La nuit tombait et je ne pouvais pas me résigner à faire fonctionner le moteur pour avancer à 5 noeuds pendant toute la nuit. Pendant que Serge préparait des steaks, j’ai pris la décision qu’on allait faire une seconde tentative pour hisser le Monstre après le souper.
Serge avait mis beaucoup d’efforts pour nous préparer un super repas, mais il s’est avéré que la viande n’était soit pas très fraîche, ou bien les boeufs de St-Martin ont une chair au goût de chaussette. L’un après l’autre, nous nous sommes résigné à faire passer nos pièces de viande par dessus bord, au grand plaisir, croyons-nous, des requins qui nous suivent. (Nous leur avons bien donné en offrande une carcasse d’espadon au jour 2!)
Deuxième tentative pour hisser le Monstre. cette fois, la drisse est tellement twisté que nous avons de la difficulté à la redescendre. Après une heure à travailler au bout de nos forces, on abandonne à nouveau. Nous préparons donc la grande voile et le génois pour faire route pendant la nuit. Nos évoluons lentement, mais au moins on avance à voile… On se couche finalement à 11h30. La journée a été ardue et on est tous bien tanné…
Jour 5
Sept heure. Moi et Serge sommes déjà sur le pont en train de préparer notre stratégie de la matinée. Objectif, régler le problème de twists sur le cordage de la drisse. Après 2 heures de dur labeur, on parvient à faire un peu mieux mais on réalise que la rotation est maintenant imprégné dans le cordage. Il faudra le changer si on veut régler le problème une fois pour toute. Pour palier à ce problème, j’enlève une pièce qui sert justement à éviter que les cordage s’entortillent. Maintenant, on s’attaque à préparer le Monstre….
Nos deux tentatives avortées de la veille ont eu pour effet d’empêtrer notre voile dans son sac. Si lors de notre tentative de le hisser seulement un truc n’est pas parfait, alors on risque de casser et/ou de se battre longtemps avec la voile. On veut donc à tout prix bien planifier nos manoeuvre et que tout soit parfait. Pour la vérification, on déroule le Monstre dans le bateau et à trois, on parvient régler tout ce qui n’allait pas. Maintenant, il est prêt à être libéré. Cette troisième tentative sera la bonne et notre récompense sera de voir cette magnifique voile noire et orange nous propulser à des vitesses records. J’ai vu passer 9.7 noeuds sur le loch et on file en moyenne au dessus de 8 noeuds par 15 noeuds de vent à 100 degrés. C’est 30-40% plus vite que les autres jours! Le turbo activé, l’équipage peut donc relaxer un brin. Enfin presque, parce qu’on a cassé un cordage pas longtemps après qu’on a dû réparer de fortune.
Notre plus grand bonheur de la journée est cependant ailleurs. Nous avons finalement pu prendre une douche, un bonheur extraordinaire après 3 jours de travail acharné. Nous sommes maintenant tous beaux, rasés et prêt à recevoir les sirènes qui voudront bien se pointer! Notre monture est telle une Ferrari des mers, alors ça devrait les attirer! 🙂 La musique se fait aussi entendre à bord pour la première fois, alors le moral est bon.
Le bateau file bien, alors on en profite pour lire ou…
….roupillonner quelques instants.
Le bateau fend les vagues qui arrosent le code ZeroLe temps se gâte…
Le grain de la malédiction est sur nous
Préparatifs en vue d’hisser le Monstre (notre spi)
En toute beauté!