Parfois, notre vie de nomade des mers nous réserve des moments d’adrénaline. Hier, alors que le soleil se préparait à toucher l’horizon, j’aperçois un énorme nuage noir qui se dirige en notre direction. Intuitivement, je repasse à travers la liste de tout ce qui peut mal aller si jamais on se retrouve dans des rafales de 50 noeuds.
Le matin même, nous étions arrivés à un de nos ancrages préférés des Bimini, South Cat Cay, après une navigation de 18 heures avec le Monstre. L’équipage était fatigué après avoir passé une nuit en mer et nous avions bien hâte d’arriver pour nous reposer. Dès l’instant que nous sommes entrés dans la baie, nous avons été consternés par le chambardement causé par les hommes. Il y a deux ans, cette île était vierge et des tortues, raies et requins venaient tourner allègrement autour du bateau pour le plus grand bonheur des enfants. Maintenant, une marina est en construction et une pelle mécanique est en train de bâtir un grand brise-lame dans le lagon. Au lieu de nous ancrer par 6′ d’eau dans un fond de sable, nous avons été condamnés à ancrer ailleurs dans 15′.
Après cette déception, nous avons décidé d’attendre quelques heures pour nous reposer avant de prendre une décision définitive quant à l’endroit où nous allions demeurer. Maintenant qu’un grain allait s’abattre sur nous, vérifier la tenue de l’ancre devenait une priorité. Après avoir vérifié les enrouleurs pour ne pas que les voiles se déploient inopinément, j’ai fait un test de tenue d’ancre. Évidemment, en accord avec la loi de Murphy, l’ancre a dérapé et il faillait d’urgence tenter de s’ancrer à nouveau. On a eu à peine le temps de replacer notre pioche un peu plus loin et déployer toute la chaîne (120′ pour 15′ de fond) que la première rafale nous a atteinte. Ce qui surprend est la grosse différence de température: une chute de 6-7C en quelques secondes. Mon regard est rivé sur les instruments pour m’assurer que la tenue de l’ancre est bonne.
L’obscurité est maintenant totale et je peine à voir les arbres qui sont à moins de 300′ sur l’île. Le vent souffle maintenant à plus 35 noeuds, rafales à 45. Mauvaise nouvelle: l’ancre ne tient pas. Nous dérivons rapidement vers la périphérie de la baie, où la profondeur n’est que de 1′. Je garde espoir que ma valeureuse Ultra, qui a habituellement une tenue exceptionnelle, s’agrippera quelque part sur son chemin. Lorsque le profondimètre indique 10′, j’augmente le régime du moteur pour soulager la pression sur l’ancre, mais ce ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau. Quelques secondes plus tard, nous sommes poussés sur le haut fond. Quarante noeuds de vent et les vagues associés nous hissent sur le haut fond, quelques centimètres de plus à chaque seconde. Le moteur gronde maintenant à plein régime dans une ultime tentative de nous extirper de cette fâcheuse situation. Rien ne bouge, seulement un tourbillon de sable à l’arrière du bateau levé par la turbulence de l’hélice. Je sais que la marée est descendante est que nous n’avons que quelques minutes pour éviter d’être échoué pour de bon. Le franc bord à l’avant de Jayana est très haut et l’étrave est balayée par le vent, ce qui nous fait pivoter sur nous même. Au même instant, une rafale un peu plus importante que les autres nous frappe de plein fouet. Le bateau se met à gîter sur tribord et ce sera notre point de salut. La quille soulevée se libère du fond et le moteur parvient à nous extirper du fond de vase et de sable. Je pousse un grand soupir de soulagement, nous venons d’éviter l’une des pires catastrophes du voyage…
Il reste à remonter l’ancre, mais je dois garder Jayana en eaux profondes avec le moteur pendant que Sounda s’occupe de l’ancre. Quelques minutes plus tard, au milieu des éclairs qui illuminent le ciel, nous sommes enfin complètement libérés. La pluie nous fouette violemment et le iPad avec nos cartes marines devient inutilisable: l’écran tactile est activé par la pluie et il change constamment d’application… Heureusement, il me reste le chartplotter avec la trace de notre arrivée.
Je mets le cap vers le lieu où nous serons véritablement en sécurité: en haute mer. Quelques minutes plus tard, nous serons soulagés de nous retrouver loin de la terre et de ses dangers. Les éclairs zèbrent encore le ciel et le danger d’être frappé par la foudre demeure réel, mais nous sommes soulagés d’avoir évité le pire: se retrouver échoué sur une île lointaine des Bahamas…
Les pires moments du voyage
- Affronter une tempête, adossé à la falaise d’une calanque, Minorque
- Moteur du dinghy arrête, échouage sur un récif de corail, Minorque
- Quasi-échouage, South Cat Cay, Bahamas
- Catamaran qui entre en collision avec Jayana, perforant la coque à 2 endroit, Mykonos, Grèce
- Voiles qui se déploient dans une tempête, Leucate, France
- Non manoeuvrant et entraînés sur un récit, Farmer’s Cay, Bahamas
- Ancre qui chasse, mais qui nous arrête à quelques mètre des rochers, Sardaigne
- Dinghy perdu, Portsmouth, Dominique
2 Commentaires
Commentaire par ladouceur
ladouceur 8 juin 2017 at 11:01 am
Quelle aventure et quelle description ! Vous en avez eu des émotions ! L’Univers était là pour vous protéger des caprices des éléments et il y a lieu d’en être très reconnaissant ! Jusqu’à maintenant, vous avez eu un programme très varié et assez complet d’incidents au cour de ce long voyage, je ne vois pas quoi d’autre pourrait vous arriver !
Je vous souhaite un très beau retour avec une énorme boule d’amour au-dessus de vos têtes. Quel voyage inoubliable et riche en expérience de vie !
Commentaire par Martin Rousseau
Martin Rousseau 11 juin 2017 at 8:37 am
À lire le top 8 des pires moments, on constate les malheurs arrivent toujours prês des côtes et rarement en pleine mer, sauf collision. Vous souhaite du bon temps.
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